Dans une France désormais accoutumée à vivre à crédit, le gouvernement de Michel Barnier s’acharne à maintenir à flot un système sclérosé, incapable de se réformer. La situation frôle l’absurde : d’un côté, les députés votent des hausses d’impôts à répétition pour combler des trous sans fond ; de l’autre, ils multiplient les amendements pour rajouter quelques centaines de millions à des dépenses dont la pertinence échappe à la raison. Ce théâtre budgétaire, où les voix dissonantes de la responsabilité sont noyées dans un brouhaha populiste, nous invite à regarder au-delà de nos frontières.
Non, inutile d’aller aussi loin que les envolées argentines d’un Javier Milei prêt à dynamiter l’État. La réponse est européenne, discrète, et d’une efficacité exemplaire. Valdis Dombrovskis, ancien Premier ministre letton et actuel commissaire européen, a prouvé qu’un État pouvait, dans l’urgence, se réinventer sans sombrer dans le chaos.
Un modèle de réforme radicale
Revenons à 2009 : la Lettonie, touchée de plein fouet par la crise financière, voit son PIB s’effondrer de 25 %. Face à la faillite imminente, Dombrovskis, alors à la tête d’un gouvernement minoritaire, choisit une stratégie audacieuse : réduire drastiquement les dépenses publiques. Et non pas de quelques milliards, mais de 10 points de PIB en moins de deux ans.
Ce fut une opération chirurgicale : un tiers des fonctionnaires licenciés, la moitié des agences publiques fermées ou fusionnées pour limiter les doublons administratifs, des ministères fusionnés, et des baisses de salaires dans le secteur public jusqu’à 26 %. La TVA a été augmentée pour générer des recettes supplémentaires, mais loin de céder à la facilité d’augmenter massivement les impôts, 75 % des efforts budgétaires reposèrent sur la réduction des dépenses.
Dans ce pays de presque 2 millions d’habitants, le ministère de la santé a vu environ 44 % de son personnel licencié et 35 hôpitaux ont été fermés pour atteindre des standards d’efficacité comparables à ceux d’autres pays européens. Dans l’éducation, 100 écoles ont été fermées et plus de 2 400 enseignants licenciés, portant le ratio élèves-enseignants à un niveau plus proche de la moyenne européenne. Les dépenses ont également été rationalisées dans d’autres secteurs tels que les infrastructures et la gestion publique.
Résultats : austérité payante
En 2010, la croissance repart. En 2011, elle atteint 5,5 %. Et malgré la rapidité des réformes, le gouvernement dirigé par Valdis Dombrovskis a été réélu, démontrant un soutien populaire à cette stratégie de redressement économique.
En prenant exemple sur des travaux rigoureux, tels que ceux d’Alberto Alesina et Silvia Ardagna, Dombrovskis a démontré que le sérieux budgétaire n’est pas synonyme de récession perpétuelle. Le chômage, bien que culminant à 20,7 % au pic de la crise, a diminué progressivement grâce à la reprise économique.
Ce qui frappe dans cet exemple letton, c’est l’équilibre entre fermeté et équité. Les réformes furent expliquées à la population, un filet de sécurité sociale fut mis en place pour les plus vulnérables, et les dirigeants montrèrent l’exemple en baissant leurs propres rémunérations.
Libéraliser, maintenant
A cause de la docilité de ses contribuables, de la masse de son économie et de l’existence de la banque centrale européenne, la France a peut-être encore un moment devant elle avant d’être réellement au pied du mur. Justement, mettons ce temps à bon emploi.
Mais comment appliquer une telle révolution en France sans passer par les larmes et les risques politiques d’un pic de chômage ? Dans un pays où le poids de l’État atteint 55 % du PIB, un ajustement budgétaire rapide pourrait aggraver les tensions sociales et amplifier le chômage. La solution passe par une approche en deux étapes : libéraliser d’abord, réformer ensuite.
Avant d’envisager des coupes budgétaires, il serait essentiel de libérer l’économie pour relancer l’emploi. Réduire les barrières administratives, d’abord, en simplifiant les normes, numérisant les services publics et libérant les professions réglementées pour stimuler la concurrence. Alléger la fiscalité des entreprises, ensuite, en supprimant les impôts de production et rationalisant les prélèvements qui pénalisent l’investissement et l’innovation. Rendre le marché du travail plus flexible, enfin, en réduisant la complexité des embauches et licenciements, encourageant les contrats plus souples et alignant les charges sociales sur la moyenne européenne, voire sur les pays européens qui découragent l’emploi le moins. Ces mesures prépareraient l’économie à absorber l’impact des réformes structurelles tout en favorisant une dynamique de croissance et de création d’emplois.
Une fois l’économie libérée, les réformes de l’État pourraient s’appuyer sur des principes inspirés par l’expérience lettonne. D’abord, supprimer les dépenses inutiles en recentrant l’Etat sur ses fonctions régaliennes, donc en supprimant les fonctions non régaliennes, réduisant les subventions non stratégiques et recentrant les aides sociales sur les populations les plus vulnérables. Rationaliser les administrations publiques, ensuite, en fusionnant les agences redondantes, réformant ou supprimant celles qui ne fonctionnent pas. Donner l’exemple, surtout, en diminuant les rémunérations des hauts fonctionnaires et des élus, comme l’a fait la Lettonie pour renforcer l’adhésion populaire.
Un parallèle accablant mais plein d’espoir pour la France
Que nous apprend cette leçon, sinon que le courage politique est une denrée rare ? En Lettonie, des choix radicaux ont été faits, et le gouvernement fut reconduit. À l’inverse, la France s’enlise dans des demi-mesures inefficaces, cherchant à préserver des privilèges anachroniques sous prétexte de solidarité.
Il est tentant de rejeter la discipline budgétaire comme une idéologie. Pourtant, le cas letton illustre que, lorsqu’elle est menée avec intelligence, elle peut permettre à un pays de se redresser rapidement, économiquement et politiquement.
À ceux qui prétendent que les réformes sont impossibles en France, regardez Valdis Dombrovskis. Ni tribun populiste ni doctrinaire inflexible, il incarne une alternative réformatrice courageuse : celle d’un État libérant l’énergie de la société au lieu de l’étouffer.
Les réussites étrangères montrent que des réformes structurelles rapides et courageuses peuvent porter leurs fruits, à condition d’être précédées d’un diagnostic clair et d’une préparation minutieuse.
En France, cela nécessiterait un leadership constant et courageux, une communication honnête sur l’urgence de la situation et une capacité à convaincre les citoyens que l’effort sera partagé équitablement.
Ce modèle n’est pas une utopie : il a déjà fonctionné en Lettonie, en Suède, en Nouvelle-Zélande et ailleurs. La question est de savoir si, à l’instar de ce premier ministre letton très discret, les réformateurs français auront le courage de le porter pour transformer le pays.
Et si nous osions suivre cet exemple, non par contrainte, demain, mais par choix éclairé, aujourd’hui ?